Depuis quelques mois, le monde occitan est sous le choc à la suite du projet de réforme du lycée et du baccalauréat, dite “réforme Blanquer”, du nom du ministre de l’Éducation française Jean-Michel Blanquer: il prévoit des modifications dans les “dotations horaires”. Les “dotations horaires” sont les moyens attribués à l’enseignement des langues minorisées dans l’éducation publique. Elles seront désormais attribuées au seul enseignement bilingue et non plus à l’enseignement de l’occitan comme langue vivante. Ces mesures mèneront à la disparition de l’option d’occitan dans les établissements scolaires de l’Occitanie Grande (la partie de l’Occitanie sous administration française), par manque de moyens.
En janvier dernier, le ministère et le rectorat de l’académie de Toulouse ont déjà donné le ton. Ils ont déclaré qu’il n’y aurait plus d’heure d’occitan financée à la prochaine rentrée scolaire dans les lycées et collèges des huit départements de la Région de Toulouse, mal nommée région “Occitanie”. En Provence, dans l’académie d’Aix-Marseille, le recteur a aussi annoncé des fermetures sous le motif fallacieux que la langue “ne se parlait plus”. Les conséquences de ces mesures sont terribles: l’occitan disparaitra des programmes scolaires en septembre 2019 et des dizaines de professeurs seront privés de faire leur métier.
Depuis, le monde culturel occitan, principalement en Languedoc et en Provence, se rassemble régulièrement pour manifester sa colère contre cette réforme. L’Assemblée Occitane soutient naturellement cette mobilisation, mais elle ne s’étonne pas de ce revirement du gouvernement français qui n’est pas un fait nouveau. Il relève même plutôt de la tradition.
(Dernière minute — Au moment où nous finalisons ce dossier, nous venons de recevoir des informations officieuses indiquant que, dans la réforme du lycée, il serait possible d’enseigner l’occitan dans tous les dispositifs prévus en général pour les langues vivantes. Mais ces cours d’occitan “étendus” s’ouvriraient seulement selon le bon vouloir des proviseurs de lycées. Donc il n’y aura aucune garantie réelle.)
La répression linguistique, une vieille tradition française…
En déclarant “Le temps du mépris est revenu… ou plutôt n’a jamais disparu“, David Grosclaude, un célèbre occitaniste, ne croyait pas si bien dire. En effet, le mépris de l’État français envers l’occitan, et plus généralement envers les langues minorisées, a toujours été latent, historique et institutionnel. Le centralisme et la répression linguistique sont l’ADN du système politique français.
Déjà au 16e siècle, la volonté de créer une société homogène à partir d’un État pluriethnique s’est accompagné d’une politique d’assimilation linguistique violente. Cela a commencé en 1539 avec l’Ordonnance de Villers-Cotterêts: ses articles 110 et 111, qui imposent l’exclusivité du français dans les documents relatifs à la vie publique au nom de la “bonne compréhension”, n’ont jamais été abrogés. Elle représente le texte législatif le plus ancien qui soit encore en vigueur dans l’État français. L’accroissement du rayonnement du français pendant le Siècle des Lumières a provoqué l’intensification de la lutte contre les “idiomes provinciaux”, considérés comme symboles d’obscurantisme.
Au début de la Révolution dite “Française”, on acceptait la diffusion des idées révolutionnaires en occitan et dans d’autres langues en dehors du français. Mais la répression linguistique a recommencé pendant le régime de la Terreur, mené par les “jacobins”. La lutte contre les “patois” à l’école s’est installée avec l’ordre du Comité de Salut Public de nommer un instituteur de langue française “dans chaque commune de campagne des départements où les habitants [avaient] l’habitude de s’exprimer dans une langue étrangère”. Cet instituteur devait appliquer des mesures drastiques afin de “bannir complètement de son école l’idiome patois […], nuisible au progrès de la langue française, et afin d’enseigner publiquement dans sa classe rien que de parler, lire et écrire la seule langue française”. Mais, au-delà des déclarations d’intentions hostiles à notre langue, l’État n’avait pas la possibilité d’imposer une politique suprémaciste française, par manque de moyens suffisants.
D’autres prescriptions se sont répétées dans ce sens, notamment le 1er mai 1802 avec la loi réorganisant l’instruction publique: elle bannissait de nouveau l’usage du “patois” à l’école. Mais ce n’est qu’à la fin du 19e siècle, sous la IIIe République, que l’État français a entamé véritablement sa politique d’éradication des langues minorisées. Les lois Jules Ferry de 1881, en faisant du français la seule langue en usage dans l’enseignement primaire, ont marqué le début du linguicide. Au nom de l’unité nationale, les langues minorisées ont été farouchement combattues à l’école, à coups de punitions et d’humiliations diverses (bonnets d’âne, galets dans la bouche…) administrées par les sinistres “hussards noirs de la république”. Les élèves n’avaient plus le droit de s’exprimer en occitan, ni en classe, ni même pendant la récréation.
Cette répression n’a pas été systématique dans toutes les écoles. Mais en tout cas, elle a été assez encouragée et assez diffusée dans un grand nombre d’écoles, de sorte qu’elle a traumatisé la plupart des enfants occitans pendant plusieurs générations, des années 1880 aux années 1950. Aujourd’hui encore, il nous reste la vergonha, la “honte” (schizoglossie occitane), et ce complexe d’infériorité touche une bonne partie des locuteurs.
Un début de reconnaissance à partir des années 1950
La situation n’a changé qu’à partir de 1951 avec la Loi 46-51 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, dite Loi Deixonne. L’occitaniste Pierre-Louis Berthaud, qui connaissait très bien le fonctionnement parlementaire, a beaucoup aidé à l’adoption de la Loi Deixonne.
La loi avait le nom du rapporteur de la commission parlementaire de l’Éducation dite “Nationale”, Maurice Deixonne. Il s’est agi du premier cas de législation dans les langues minorisées, après des décennies de lutte et de revendications des militants de l’enseignement de l’occitan. Jusque-là, les propositions de loi n’arrivaient même pas en discussion en séance de l’Assemblée dite “nationale”. En présentant le double objectif de défendre la langue française puis de protéger les langues minorisées, la Loi Deixonne a constitué une reconnaissance officielle du droit à l’existence de l’occitan. Mais son contenu était très restrictif et proposait un enseignement facultatif, limité à une ou deux heures par semaine.
Un quart de siècle plus tard, la Loi Deixonne a été complétée par la Loi nº 75.620 du 11 juillet 1975, dite Loi Haby, du nom de son auteur, le ministre de l’Éducation René Haby. Relative à l’enseignement, la Loi Haby obligeait les administrateurs scolaires à organiser un enseignement pour toutes les minorités “régionales” qui en faisaient la demande. La loi française a reconnu enfin officiellement une place aux langues minorisées dans l’enseignement, même si elle restait modeste et limitée. Elle a impliqué un changement des programmes et des grilles horaires ainsi que la préparation de stages de formation pour le personnel enseignant.
Pourtant, ces timides avancées ont été contrebalancées tout de suite avec des dispositifs de lois rétrogrades. D’abord, la Loi nº75-1349 du 31 décembre 1975, dite Loi Bas-Lauriol. En portant exclusivement sur la “protection de la langue française”, la Loi Bas-Lauriol a rendu le français obligatoire dans l’affichage public et la publicité commerciale, écrite et parlée. Les dispositions de la loi s’appliquaient à tous les espaces publics (bâtiments, transports en commun, parcs, etc.).
La Loi Bas-Lauriol a été abrogée par la Loi du 4 aout 1994, dite Loi Toubon, relative à l’emploi de la langue française et qui, pourtant, ne s’oppose pas à la législation en vigueur sur les “langues régionales de France”. La législation française accepte donc malgré tout l’enseignement de l’occitan ainsi que sa protection dans le domaine de la radiodiffusion, mais avec un cadre juridique très fragile. Mais les Lois Deixonne et Haby, à leur tour, ont été abrogées et remplacées par certains articles du Code de l’éducation de 2000. À cette occasion, la seule mention officielle de la langue occitane dans la législation française a disparu.
Autre problème: l’enseignement de l’occitan était pénalisé dès le début par des inégalités territoriales. Les zones qui comptaient le plus de locuteurs primaires (notamment l’espace nord-occitan) étaient celles où l’enseignement était le moins organisé et on y proposait peu de postes de personnel qualifié. La raison en était l’aliénation des locuteurs primaires de l’occitan car, parmi eux, persistait un sentiment de haine de soi (autoòdi), avec une perte de conscience linguistique. Ils étaient “occitans sans le savoir” selon les termes de l’écrivain Jean Boudou, et ils distinguaient ce qu’ils nommaient leur “patois” local de l’“occitan”, perçu comme une langue éloignée et académique. La difficulté persiste aujourd’hui: les Occitans n’ont pas assez conscience de la réalité occitane, ce qui pénalise le dynamisme de la langue occitane.
Ce n’est qu’en 1979 qu’est apparue la première école d’enseignement bilingue occitan-français, dite Calandreta, à Pau. Les Calandretas se fondent sur le modèle des écoles bilingues Diwan en Bretagne, Ikastola au Pays Basque et Bressola en Catalogne; ce sont des écoles laïques et gratuites qui pratiquent l’immersion linguistique précoce avec une pédagogie active, inspirée des techniques Freinet. Les Calandretas se sont développées dans les années 1980-90, jusqu’à former des collèges dont le premier s’est ouvert à Lattes en Languedoc en 1997.
Après la Loi Deixonne de 1951, l’enseignement de l’occitan a bénéficié progressivement de certaines avancées.
- 1979: création à Pau (Béarn, Gascogne) de la première école bilingue occitan-français, dite “Calandreta”.
- 1982: création de classes bilingues dans l’enseignement public.
- 1992: création du CAPES d’occitan-langue d’oc (concours pour recruter les professeurs d’occitan dans les collèges et les lycées).
- 1994: contractualisation des Calandretas grâce au ministre de l’éducation, François Bayrou, qui a permis aux maitres et maitresses d’être salariés par l’État français.
- 1997: ouverture du premier collège Calandreta à Lattes (Hérault, Languedoc).
- 1998: un rapport du gouvernement français a reconnu l’importance de l’extension géographique de la langue occitane et de sa production culturelle qui est “d’un prestige certain, à la fois très ancienne et vivace”.
- 2002: création du concours de professeurs des écoles en langues dites “régionales”.
- 2004: ouverture d’une première école publique bilingue à Cuers (Provence), d’autres ont succédé plus tard à Maillane et à Nice.
- 2008: inscription des langues dites “régionales” dans la Constitution de la République française, mentionnées comme appartenant “au patrimoine de la France”.
En Aran, la Loi de 1990 sur le régime spécial du Val d’Aran a rendu possible l’apprentissage de l’occitan aranais à l’école. En 2008, le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne est allé plus loin en reconnaissant l’occitan aranais comme troisième langue officielle de la Généralité de Catalogne. Enfin, en 2010, la “Loi sur l’occitan, aranais en Aran” a renforcé son usage dans les administrations publiques de l’Aran. Ces grandes avancées, obtenues uniquement grâce à la Catalogne, ont été contestées par l’État espagnol. Ainsi, en septembre 2011, le Tribunal constitutionnel a suspendu la loi de 2010 sur l’occitan aranais.
Dans les Vallées Occitanes et à Guardia Piemontese (l’enclave occitane de Calabre), l’État italien accorde à l’occitan un statut et des fonds pour développer des centres culturels comme l’Espace Occitan de Dronero qui est une belle réussite. Mais l’enseignement de l’occitan n’a pas pu se développer malgré un usage social encore relativement fort. Cette difficulté s’explique surtout par les caractéristiques géographiques des communes des Vallées, très enclavées.
À Monaco, le prince Rainier III a rendu obligatoire l’enseignement du ligure monégasque dans toutes les écoles primaires et secondaires de la Principauté. Mais l’occitan monéguier, l’autre langue autochtone de la Principauté, ne bénéficie pas d’enseignement. On peut voir ainsi la subordination de Monaco aux intérêts de l’État français.
Au niveau international, la situation devient encore meilleure. En étant reconnu comme une partie constitutive de la culture européenne, en raison de la civilisation des troubadours et de la richesse littéraire incluant le prix Nobel de littérature, la langue occitane est étudiée dans les universités du monde entier, notamment en Allemagne, aux États-Unis, dans les pays scandinaves, ainsi qu’au Japon.
Un enseignement de l’occitan catastrophiquement faible
Cette évolution en apparence positive est à relativiser, tant les chiffres restent catastrophiquement faibles. Un rapport de 2013 montre que parmi les langues minorisées de l’État français, l’occitan est dans la situation la plus mauvaise en matière d’enseignement, à l’exception notable de l’arpitan et des dialectes de la langue française ou langue d’oïl.
En effet, le territoire occitan est proportionnellement le moins bien pourvu en établissements qui proposent un enseignement en langue du pays. Et il s’agit pour la plupart d’établissements du primaire. Les collèges et lycées qui proposent l’occitan sont encore plus rares et ont une répartition territoriale très inégale. 60% des élèves d’occitan du secondaire sont concentrés dans l’académie de Toulouse. Dans d’autres académies comme Limoges, Clermont et Grenoble, la présence de l’occitan est anecdotique.
Enfin, il n’y a que 4% des élèves des académies de l’Occitanie Grande (sous administration française) qui reçoivent un enseignement de l’occitan. Les familles qui le veulent ne peuvent pas toujours trouver un enseignement de l’occitan dans l’école de leur ville, ce qui prive la matière d’élèves potentiels. La représentation trop faible de l’occitan dans les établissements secondaires mène à une absence de continuité. Plus de la moitié des élèves d’occitan du primaire sont contraints d’abandonner cet enseignement lorsqu’ils passent au secondaire. Et les rares privilégiés qui peuvent poursuivre au collège se retrouvent généralement dans des cours d’initiation avec des débutants.
L’enseignement bilingue est très minoritaire: il ne représente que 9% de l’ensemble des élèves d’occitan. Il existe sous deux formes différentes:
- Les écoles publiques bilingues qui proposent un enseignement à parité horaire.
- Les écoles “Calandretas” qui proposent un enseignement par immersion.
Les Calandretas ont une portée encore plus limitée. En 2017, le réseau des Calandretas fédérait 67 écoles, 4 collèges et seulement un lycée, répartis sur seulement 19 départements sur les 39 que compte l’Occitanie. Cela fait un total de 3 894 enfants concernés, dont 3 603 dans le primaire et seulement 291 dans le secondaire. Et il a aussi une diffusion territorialement très inégale. Concentrées en Languedoc et au sud de la Gascogne, elles se font plus rares dans les autres régions. C’est ainsi qu’à Marseille, dans la plus grande ville d’Occitanie, il n’y en a aucune. Il y a moins de dix Calandretas pour toute la moitié nord de l’Occitanie (Auvergne, Limousin, Vivarais, Alpes et nord de la Gascogne).
Une diminution des moyens malgré une demande forte
Il y a toujours eu une forte demande sociale de cours d’occitan: en témoigne un sondage du conseil régional d’Aquitaine de 1997, où il apparait que la plupart des parents sondés désiraient que leurs enfants puissent apprendre l’occitan à l’école. Cependant, l’enseignement de l’occitan subit depuis vingt ans des restrictions de la part des gouvernements français successifs. La réforme Blanquer constitue justement la suite logique de cette politique constante.
Aussi bien dans le public que dans le privé sous contrat, l’enseignement de l’occitan a toujours souffert d’un manque cruel de moyens. À tel point qu’enseigner l’occitan est devenu une lutte et un acte militant. Ainsi, pour sauvegarder l’option d’occitan, certains professeurs, lorsqu’ils le peuvent, acceptent d’enseigner bénévolement les heures perdues. Sous le mandat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), les langues minorisées ont souffert d’une diminution globale des heures d’enseignement général. Sous François Hollande (2012-2017), la diminution des heures s’est poursuivie alors que la demande était en train de croitre. L’occitan reste une option, bien moins considérée que les enseignements des autres langues vivantes.
Dans presque toutes les académies, l’occitan souffre des attaques des différents rectorats qui essaient de le liquider dans le secondaire à la moindre occasion. Tout est fait pour décourager les professeurs mal payés et souvent confrontés à la malveillance de l’administration scolaire; cette administration les empêche de travailler dans des conditions normales. Par une succession de négligences volontaires et d’erreurs improbables — qui trahissent une mauvaise foi évidente —, certains établissements peuvent “oublier” d’assurer l’obligation légale d’annoncer l’existence des cours d’occitan dans les programmes.
Par conséquent, à la rentrée, beaucoup d’élèves ne savent pas qu’il est possible de s’inscrire. Pire, il arrive que des élèves soient empêchés de s’inscrire en cours d’occitan, ou que le fonctionnaire chargé d’enregistrer les inscriptions dans le programme numérique ne réussisse pas à le faire parce qu’il “ignore” ce qu’il doit écrire comme dénomination officielle. Ainsi, les cours d’occitan se retrouvent en sous-effectif, et même parfois sans élèves, et les proviseurs en profitent pour justifier leur fermeture.
Le système français d’éducation entretient le manque de professeurs, il maintient volontairement un nombre très limité de postes de professeurs “d’occitan-langue d’oc” au CAPES. Depuis la réélection de Jacques Chirac en 2002, le nombre d’ouvertures de postes a radicalement baissé, en passant de vingt par an à seulement quatre aujourd’hui [voir le tableau].
Par conséquent, l’enseignement de l’occitan est soumis à une pénurie chronique de professeurs. En cas d’absence, les professeurs d’occitan ne sont pas remplacés ou ils ne le sont pas chaque jour, avec des horaires encore plus réduits, et au détriment d’un autre cours d’occitan. Ou pire encore, ils peuvent être remplacés par des contractuels qui ne parlent même pas l’occitan.
D’autres contraintes incitent les candidats au professorat d’occitan à abandonner leur poste ou, même, à ne pas tenter le concours du CAPES d’occitan-langue d’oc:
- La baisse des postes entraîne une sélection encore plus sévère, ce qui décourage plusieurs personnes qui ont tenté maintes fois d’obtenir le concours sans succès.
- L’obligation de mobilité: un candidat qui a gagné le concours devra enseigner dans une région dont le dialecte est différent du sien. Dans de nombreux cas, face à l’impossibilité d’enseigner dans sa région, le professeur démissionne.
- La bivalence du CAPES d’occitan-langue d’oc: elle oblige les candidats à passer aussi d’autres épreuves (le quart du total environ) dans une discipline à choisir entre l’anglais, l’espagnol, l’histoire-géographie et les lettres modernes. Le professeur peut être mené à enseigner davantage la seconde matière que l’occitan.
Parfois, le gouvernement français tente même de supprimer les langues minorisées de l’épreuve du CAPES, comme cela a été le cas sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de l’époque a annoncé la suppression des langues dites “régionales” du concours pour 2012 et, donc, la non-reconduction des 10 nouveaux postes prévus à la rentrée, par mesure d’économie, tandis que les langues minorisées représentaient une partie très négligeable du budget de l’Éducation dite “nationale”. Les enseignants des langues minorisées ont organisé très vite la résistance contre cette mesure et le ministère a reculé, car il a maintenu les postes prévus. Cet épisode illustre bien le fait que l’enseignement de l’occitan n’est jamais garanti et qu’une vigilance constante est nécessaire.
Au niveau universitaire, la situation est similaire, comme à l’Université de Nice qui a vu la fermeture de la licence d’occitan en 2017 en raison d’un manque d’inscriptions suffisantes. À l’origine, il y avait un affrontement entre les professeurs et le doyen Alain Tassel qui ne voulait pas faire de concession, sous prétexte qu’il y avait un vivier trop faible d’étudiants en occitan. Il a employé à cette occasion le même argument cynique que le recteur de l’académie d’Aix-Marseille qui a dit en 2019 que l’occitan ne se parlait plus dans la rue. Lorsque la bête est malade, il est plus simple de la supprimer que de l’amener chez le vétérinaire. Dans le cas de l’Université de Nice, l’absence des deux premières années du cursus universitaire a restreint le nombre d’étudiants en licence 3. Cette fermeture a empêché ensuite la formation d’enseignants de niçois pour le primaire, le collège et le lycée.
Les écoles Calandretas ne sont pas non plus à l’abri depuis que le gouvernement français a décidé de supprimer les emplois aidés. Les conséquences de ce désengagement de l’État sont terribles; plusieurs Calandretas, comme celles de Lys et de Béost, dans la vallée d’Ossau, en Béarn, ou celle de Limoges, n’ont plus eu assez d’argent pour payer les salaires des assistantes maternelles qui étaient indispensables pour la garderie et l’aide au repas des enfants. Il s’agissait de contrats d’accompagnement pour l’emploi (CAE) financés à 90%, avant que l’État français ne les baisse à 50%. Malgré un comité de soutien et un appel aux dons, il a fallu supprimer les emplois d’assistantes maternelles.
De plus, chaque fois que l’on crée une Calandreta et que celle-ci fonctionne bien, les pouvoirs publics essaient de la mener à la fermeture de plusieurs manières. Par exemple, par des complications administratives, comme à Vallauris, en Provence orientale, où la Calandreta a été abandonnée en 2002 à cause de l’opposition politique interne contre le maire occitaniste de l’époque — Michel Ribeiro —, qui était à l’initiative de cette école. Ou en créant un projet concurrent d’école publique bilingue comme à Castres ou encore à Nice; ainsi, à Nice, la Calandreta a dû fermer après huit ans de service à la suite de la pression de la commune qui voulait laisser la place à une classe bilingue. Le cas de la Calandreta de Cuers, dans le département du Var, au début des années 2000, est encore plus emblématique; face au refus de l’inspecteur d’académie de faire la contractualisation, la Calandreta, en difficulté, a dû se transformer en école publique bilingue pour sauver ses emplois.
Un enseignement de plus en plus menacé
Lorsque des réformes radicales sont menées, ce sont toujours les matières les plus faibles qui sont touchées en premier. Maintenant, le gouvernement français est passé à la vitesse supérieure pour en finir complètement avec l’enseignement de l’occitan. Les différentes mesures prévues par la réforme Blanquer mèneront à la disparition pure et simple de l’occitan dans l’enseignement et, donc, à la perte de toutes les maigres avancées chèrement acquises depuis la Loi Deixonne.
En premier lieu, la mutualisation des dotations horaires au seul enseignement bilingue aggravera l’insuffisance des heures d’enseignement. En second lieu, la réforme Blanquer prévoit de baisser le coefficient, déjà très faible, de l’option “langues régionales” au baccalauréat, en enlevant ainsi tout l’intérêt qu’avait un lycéen de la prendre. Par conséquent, à partir de 2021, une note de 20/20 en “occitan-langue d’oc” n’augmentera la moyenne générale que de 0,2 point, au lieu du 0,5 actuel. Avec une différence de traitement aussi défavorable, il devient clair que les lycéens préféreront apprendre des langues internationales au lieu de l’occitan.
Enfin, les lycéens ne pourront plus présenter l’épreuve du baccalauréat en occitan en tant que candidats libres. Donc, tous ceux qui se trouvent trop loin des rares lycées qui enseignent l’occitan seront privés de cette possibilité.
La classe politique entre mépris…
À côté des difficultés que rencontre l’enseignement des langues minorisées, les élites politiques françaises, en trempant dans l’ignorance et le formatage idéologique jacobin, rivalisent en déclarations méprisantes et condescendantes sur les langues minorisées. Leurs déclarations s’accompagnent toujours d’un discours d’admiration fétichiste pour la langue française, à laquelle elles attribuent un rôle presque messianique et civilisateur. Toutes les tendances politiques sont touchées. Pendant la campagne présidentielle française de 2017, la candidate du RN, Marine Le Pen, voyait dans les langues minorisées une “dangereuse brèche dans la République”. Pendant ce temps, François Asselineau, le candidat d’un obscur parti d’extrême droite complotiste, a déclaré qu’elles étaient “tombées en désuétude”.
Dans la réaction caricaturale du style “je ne suis pas hostile aux langues régionales mais…”, c’est Jean-Luc Mélenchon qui s’illustre. En 2013, pour justifier son vote contre le rapport que François Alfonsi a présenté au Parlement européen en faveur des langues minorisées, Mélenchon a qualifié celui-ci d’“attaque mensongère” et a sorti comme argument qu’il fallait porter le débat “sur les moyens à mettre en œuvre pour favoriser l’apprentissage des langues […]”. Sauf que, pendant qu’il était sénateur, il ne s’était jamais manifesté sur cette question des moyens. Il se montre même totalement déconnecté des réalités en considérant que l’État français offre déjà un “cadre législatif très favorable” et que quatre postes proposés au CAPES d’occitan seraient largement suffisants. Son porte-parole Alexis Corbière s’est montré encore plus radical: à la fin mars 2019, pendant un discours à l’Assemblée Nationale, il a demandé la suppression des écoles bilingues par immersion qui, selon lui, “[véhiculaient] parfois des idéologies identitaires antirépublicaines”.
La palme de l’énormité revient au ministre Jean-Michel Blanquer, l’auteur même du projet de réforme polémique, et aussi à la députée LREM Sylvie Charrière dont les visions accumulent paranoïa, désinformation et culte de l’unité nationale française. Le premier remet en cause le principe des écoles immersives en leur reprochant de pratiquer l’unilinguisme et de mettre l’enfant “dans la situation d’ignorer la langue française”. La seconde assimile l’enseignement des langues minorisées aux réseaux terroristes.
…et promesses électorales jamais tenues
À chaque élection, le paysage politique se divise entre les candidats chauvins-souverainistes, clairement hostiles aux langues minorisées, et les candidats démagogues qui font des promesses qu’ils ne tiennent jamais. La question de la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires (CELREM) en est le meilleur exemple. La Charte oblige les États signataires à reconnaitre les langues minorisées en tant qu’expression de la richesse culturelle et d’engager des mesures concrètes en faveur de leur enseignement. En 1999, l’État français l’a signée mais le Conseil constitutionnel en a refusé la ratification sous prétexte qu’“elle porterait préjudice à l’indivisibilité de la République et de l’unicité du peuple français”. Depuis, il s’en est suivi une série de promesses de ratification qui n’ont jamais été réalisées.
En 2008, le gouvernement de François Fillon a refusé de ratifier la Charte. La ministre de la culture de l’époque, Christine Albanel, a justifié le refus par le fait que la Charte ne respecterait pas l’article 2 de la Constitution stipulant que “la langue de la République est le français”. En échange, elle a promis “un cadre de référence” destiné à s’en tenir à un minimum. Elle a parlé de “récapituler ce qui existe” comme “les médias, l’enseignement, la signalisation ou la toponymie”, une sorte de “poudre aux yeux” pour duper le public. Évidemment, cette promesse n’a jamais été tenue. En 2012, François Hollande a été élu avec la promesse de faire ratifier la Charte (engagement nº56 de son programme). Mais il a renoncé rapidement à son engagement et la promesse électorale a fini de nouveau aux oubliettes.
Les élections présidentielles de 2017 ont vu se répéter le même scénario. Le futur président français, Emmanuel Macron, a fait à son tour quelques promesses électorales en faveur des langues minorisées. Dans son discours de Pau du 12 avril 2017, il a déclaré que la France était “plurielle” et qu’“elle avait d’autres langues”. Il a annoncé qu’il voulait reconnaitre les “belles langues régionales” qui faisaient “vibrer [la] diversité et [la] richesse” de la France. Il allait plus loin en parlant d’enseigner le corse à l’école, en en refusant cependant la co-officialité avec le français. Bien sûr, aucun engagement ne figurait dans son programme et il a fait preuve de son ignorance en disant que la France était “le seul pays francophone qui ne [vivait] qu’en français”. Néanmoins, il a fait la promesse orale de ratifier la Charte; celle-ci ferait croitre les moyens de l’expression des identités “régionales” et faciliterait l’apprentissage de la langue et de la culture locales à l’école. Un an après son élection, il a encore promis, en juin 2018, à Quimper en Bretagne, de soutenir “les langues régionales qui [avaient] un véritable rôle à jouer”. Alors que nous sommes en train d’attendre la réalisation de ses promesses, son gouvernement lance la réforme contestée de Blanquer.
Même à l’échelle politique locale, jusqu’à une date récente, on a fait des promesses dans le sens du renforcement et du développement de l’enseignement de l’occitan. En janvier 2017, la Région de Toulouse (représentée par l’Office public de la langue occitane, l’OPLO) et le Ministère de l’Éducation dite “nationale” ont signé une convention “pour le développement et la structuration de l’enseignement […] de l’occitan” dans les cinq académies de la moitié occidentale de l’Occitanie. Le texte stipulait que la langue occitane constitue “un bien commun qu’il convient de sauvegarder, de promouvoir et de transmettre dans un esprit de valorisation et d’exercice de la citoyenneté”.
- Des horaires normaux pour l’enseignement de l’occitan.
- La production et la distribution de matériel pédagogique en occitan.
- Des améliorations aux postes des enseignants occitanophones et à leurs certifications.
- La diffusion des enseignements de l’occitan ou en occitan dans les écoles publiques.
Le 21 décembre 2018, la rectrice de l’académie de Toulouse, Anne Bisagni-Faure, a promis au Centre régional des enseignants d’occitan de Toulouse (CREO Toulouse-FELCO) le renforcement et le développement de l’enseignement de l’occitan dans le secondaire. Elle parlait de “sanctuarisation” de l’occitan dans l’académie. C’était sans compter sur la réforme Blanquer qui est intervenue entretemps. Finalement, le texte encourageant de l’OPLO ne s’est pas matérialisé et la promesse de la rectrice s’est révélée mensongère. Il n’y aura aucune heure d’occitan financée, et des dizaines de professeurs seront privés de faire leur métier.
Actuellement, les langues minorisées ne bénéficient d’aucun texte récapitulatif des dispositions existantes pour leur enseignement. Contrairement à ce que prétendent certains politiciens pour justifier l’immobilisme sur ce sujet, l’arsenal juridique est largement insuffisant. Depuis qu’il a indiqué dans la Constitution que les langues minorisées font partie de son patrimoine (article 75-1 ajouté en 2008), l’État français est obligé moralement de les soutenir, mais il n’a aucune obligation juridique.
Le jeu pervers de la division entre Occitans
De manière plus sournoise, les pouvoirs publics usent de la carte de la division pour affaiblir l’enseignement de l’occitan. Notamment dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, les ennemis des langues autochtones ont trouvé un allié improbable avec le “Collectif Provence”, une officine pseudoprovençaliste qui prétend isoler le provençal de l’ensemble occitan. Ainsi, le recteur de l’Académie d’Aix-Marseille, Bernard Beignier, a récemment assuré en 2019 que la réforme Blanquer ne menace pas l’enseignement de la langue du pays; il a aussi affirmé qu’“on n’enseignera pas l’occitan mais le provençal”. Nous pouvons nous questionner sur l’aspect surréaliste d’une telle déclaration. Il n’est pas possible que cet homme cultivé ne sache pas que le provençal est un dialecte de l’occitan; et que de fait, l’occitan qu’on enseigne dans l’académie sont ses formes locales: le provençal et le vivaro-alpin.
Plus grave a été la décision de l’ancien président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Christian Estrosi, d’amputer de 35 000 euros la subvention de fonctionnement de la Fédération des Calandretas. Il a sorti comme prétexte qu’“elle ne reconnaissait pas la pluralité des langues régionales” et qu’“elle ne s’inscrivait pas dans la politique de défense de l’identité et des traditions de la culture et de la pluralité de l’héritage culturel”. Il est clair qu’il a agi sous l’influence du Collectif Provence, qui est farouchement anti-occitaniste et qui préfère enfermer le provençal sous une cloche de verre jusqu’à sa mort, plutôt que de reconnaitre le conflit linguistique avec le français, langue dominante en Provence. Les conséquences étaient dramatiques pour plus de deux cent familles et pour les professionnels.
Pendant ce temps, il a soutenu cette officine pseudoprovençaliste, le Collectif Provence, à laquelle il a attribué un demi-million d’euros pour lancer un “Observatoire de la langue provençale” destiné à “conserver les traditions régionales”. À long terme, il s’agit d’un projet d’1,5 million d’euros maitrisé par un conseil d’administration, contrôlé en majorité par l’officine pseudoprovençaliste en question. Bien qu’il soit très peu représentatif de la population de la région, le milieu pseudoprovençaliste bénéficie de soutiens politiques puissants et d’une certaine capacité à influencer les élus et les institutions publiques locales.
L’échec stratégique du culturalisme occitan
La situation actuelle de l’enseignement de l’occitan témoigne de l’échec complet de la stratégie d’une grande partie du milieu culturaliste occitan, qui s’est toujours trompé. Pour ne pas épouvanter l’État français, et par la même occasion, pour ne pas perdre les maigres subventions publiques qu’il recevait, le culturalisme occitan s’est souvent montré minimaliste et viscéralement opposé à toute idée d’indépendantisme occitan. Il s’est imaginé qu’en montrant patte blanche et en restant fidèle à l’unité “nationale” française, il obtiendrait plus de moyens des autorités jacobines pour développer l’enseignement de l’occitan. Il a cru que le minimalisme des revendications permettrait d’obtenir peu à peu, à long terme, l’égalité entre l’occitan et le français en matière d’enseignement et de diffusion.
Le milieu culturaliste occitan n’a jamais compris que l’État français fonctionnait au rapport de force. Que pour le faire plier, et obtenir ainsi plus de moyens, il fallait se montrer maximaliste dans les revendications. Qu’il fallait orienter la mobilisation populaire vers ce maximalisme. Et que l’angélisme dont il a toujours fait preuve (“bilinguisme” naïf, négation de la logique de conflit linguistique entre français et occitan) ne le mènera pas à un résultat certain. Afin d’éviter les conflits et l’instabilité, l’État français a tendance à plier face à ce qu’il perçoit comme des extrémistes déterminés. Et il méprise au contraire les modérés timides et minimalistes qui sont prêts à se rabaisser pour ne pas offenser la sensibilité des jacobins.
Ainsi, les communautés basque, bretonne et corse ont multiplié dans les années 1970-80 les actes de dissidence afin de revendiquer le statut de minorité. Dans ces cas-là, la pression populaire a légitimé l’enseignement des langues minoritaires et permis progressivement de leur attribuer un statut de “matière spécifique”, disposant d’un cadre horaire, de programmes, d’épreuves d’examens, de personnels formés et de programmes de recherche pédagogique et scientifique. Les Corses ont même obtenu en 2002 que leur langue corse soit enseignée d’office, trois heures par semaine à l’école primaire. C’est la dispense de cet enseignement qui est en option.
Il est clair que l’Assemblée Occitane soutient par principe les associations culturelles qui travaillent dur pour l’enseignement de l’occitan: la Fédération des enseignants de langue et culture d’oc (FELCO), les écoles associatives Calandretas, l’École occitane d’été (EOE), l’Université occitane de Nîmes (MARPOC), et évidemment nous soutenons aussi les associations mistraliennes comme Provençau Lenga Viva [Prouvençau Lengo Vivo], etc. Mais en même temps, nous revendiquons plus de rigueur et plus de maximalisme.
Bien sûr, il serait injuste de nier les avancées obtenues grâce aux organisations culturalistes. Elles ont contribué à la reconnaissance de l’unité de la langue occitane par le Ministère de l’éducation (dite “nationale”). À Nice par exemple, la réalité occitane du niçois, un temps contestée par la vieille garde localiste des professeurs de langue, a fini par s’imposer naturellement avec l’arrivée de la nouvelle garde des capéssiens dans les années 1990.
Une formation très insuffisante pour les professeurs
Le minimalisme du milieu culturaliste occitan, aussi, entraîne trop peu d’exigence dans la formation et dans le niveau des professeurs d’occitan.
Attention: beaucoup de professeurs d’occitan travaillent bien, c’est incontestable, mais ils ne travaillent bien que parce qu’ils font de l’autoformation. À côté des professeurs qui travaillent bien, toutefois, d’autres professeurs ont moins de possibilités d’autoformation et ont un niveau en langue occitane qui est trop faible.
Les centres de formation sont influencés par ce minimalisme. Ils ne font pas tout le travail nécessaire pour garantir que les professeurs d’occitan aient un niveau comparable à celui des professeurs de français ou d’anglais.
Les inspecteurs d’occitan sont aussi bloqués par ce minimalisme. Ils reçoivent des moyens trop faibles. Ils ne peuvent pas visiter, ni conseiller, ni suivre assez souvent les professeurs d’occitan. En général, ils ne peuvent offrir aucune formation continue aux professeurs d’occitan, tandis que les professeurs d’anglais ou de français ont des formations à foison. Les inspecteurs s’occitan sont même soumis à des préjugés dévalorisants venant des rectorats, qui voient l’occitan comme une matière mineure.
Solutions et position de l’Assemblée Occitane
Le grand penseur occitaniste François Fontan, théoricien de l’ethnisme et fondateur du Parti de la nation occitane (PNO), définissait la langue comme l’indice synthétique de l’existence d’une nation. Cette réalité est implicitement reconnue, même, par le milieu culturaliste: en témoigne le slogan de la pétition “Pas d’Occitanie sans occitan”. La vitalité de l’occitan est donc une question de survie de la nation occitane.
Pour sortir de la crise et pour en finir définitivement avec les erreurs répétitives de l’occitanisme, l’Assemblée Occitane préconise une libération mentale qui suppose un changement radical d’attitude (les propositions suivantes reprennent, en partie, des articles de Domergue Sumien publiés récemment dans Jornalet).
- Arrêter de se limiter à des revendications minimalistes et de se satisfaire de la moindre avancée mineure, tant que l’objectif final n’est pas atteint.
- Arrêter de croire naïvement aux promesses électorales et à l’idée que la solution viendra de l’État français ou des entités administratives locales qui lui sont soumises.
- Cesser de vouloir dogmatiquement que l’enseignement de l’occitan soit la compétence exclusive du Ministère français de l’Éducation dite “nationale”. Ce ministère s’est montré incapable d’organiser un enseignement digne de l’occitan.
- Accepter le fait que nous sommes dans une situation de conflit entre la langue dominante (le français) et la langue dominée (l’occitan).
- Entrer dans la logique de confrontation en adoptant une attitude de lutte pacifique, mais déterminée et sans concession.
- Assumer une position maximaliste sans plus avoir peur de revendiquer:
- Un statut de langue officielle pour l’occitan, qu’il soit la langue prioritaire en Occitanie.
- Une offre généralisée de cours d’occitan dans tous les établissements scolaires.
- Un enseignement obligatoire de l’occitan de l’école maternelle à l’université.
- Un recrutement massif de professeurs.
- L’usage de l’occitan en tant que langue enseignée, mais aussi en tant que langue d’enseignement des autres matières.
- L’usage de l’occitan en tant que langue technique de travail dans les écoles, au-delà des cours d’occitan.
- L’usage et l’enseignement d’un occitan standard et pluricentrique, avec des adaptations dialectales modérées, afin de diffuser la langue plus efficacement à des millions d’élèves avec un matériel pédagogique harmonisé.
- L’enseignement d’un occitan de qualité et cohérent, avec la même exigence que dans les cours de français ou d’anglais.
- Une formation exigeante des professeurs d’occitan, équivalente au niveau qu’on demande aux professeurs de français ou d’anglais.
- Assumer l’occitan comme la langue d’une nation, avec sa réputation internationale et méritant une dignité élevée.
- Justifier l’occitan, non en commençant par dire qu’il aide à apprendre d’autres langues, mais en expliquant qu’il est normal de parler la langue du pays.
- Abandonner le mythe fallacieux du “bilinguisme” naïf qui maintient l’occitan en état d’infériorité face au français et qui mène à une situation de diglossie ou subordination (la critique du “bilinguisme” naïf est un acquis de la sociolinguistique).
- Exiger que l’occitan soit enseigné sérieusement, non seulement dans l’Occitanie Grande (État français), mais aussi dans les Vallées occitanes (État italien) et à Monaco.
- Revendiquer un enseignement coordonné de l’occitan entre les différentes parties politiques de l’Occitanie: en Aran (dépendant de la Catalogne), en Occitanie Grande (État français), dans les Vallées Occitanes (État italien) et à Monaco.
- Demander l’autonomie, la dévolution de pouvoirs de l’État français vers une supra-région occitane. La supra-région occitane serait compétente dans les domaines de la politique linguistique et culturelle, l’éducation et la formation supérieure, la formation professionnelle, la promotion économique, les transports, le domaine médico-social, etc.
- Accepter l’idée qu’un bon moyen de sauver l’occitan est que l’Occitanie obtienne sa souveraineté, et qu’elle gère elle-même l’éducation et les établissements scolaires sur son territoire.
Cette libération mentale s’accompagnera naturellement d’une stratégie pour contourner les obstacles posés par le système jacobin. Comme la langue occitane n’est pas obligatoire et comme elle n’a pas assez d’usage social exclusif, la gageure principale est de la rendre attractive. Certaines actions sont possibles.
- Utiliser la technologie moderne et accessible pour répandre l’enseignement de l’occitan auprès du grand public.
- Développer le maximum de médias alternatifs en occitan.
- Sortir de l’assistanat et de la dépendance des aides publiques en cherchant des solutions de financement indépendantes, même s’il faut renoncer aux subventions payées par de l’argent de nos impôts.
- Encourager la transmission de l’occitan dans les familles, de génération en génération, pour augmenter la base potentielle d’occitanophones dans la société future, et pour créer ainsi une demande croissante.
Des raisons d’espérer
Le militantisme occitan, autrefois, a su faire preuve d’imagination, d’ingéniosité, de combativité et de réactivité. Le meilleur exemple reste l’initiative des Calandretas. Partis du constat qu’ils ne pouvaient rien attendre de positif du Ministère de l’Éducation (dite “nationale”), des militants occitanistes ont décidé de prendre le pouvoir sur le terrain de l’enseignement. Pour y arriver, ils ont investi les écoles désaffectées des villages du Languedoc et de Gascogne, des régions sinistrées par l’exode rural des années 1960-70. L’ouverture des Calandretas s’est accompagnée d’un repeuplement des villages qui en bénéficient. Le succès a été tel qu’il a vite dérangé les pouvoirs publics.
On est en train de prendre des initiatives pour créer une dynamique et rendre l’occitan attractif. Comme le 1er Festival de cinéma scolaire occitan, organisé à Nice par la télévision web Cultura Viva et l’Association des professeurs de langues régionales (APLR-FELCO). Le festival a présenté notamment une sélection de films réalisés par les élèves de l’académie de Nice.
Le mot éducation vient du latin e-ducere qui signifie “faire sortir, élever”. Il peut impliquer l’idée de mener l’enfant sur le chemin choisi par un État. L’Éducation dite “nationale” de l’État français entend naturellement mener les enfants d’Occitanie sur le chemin du nationalisme français d’expansion, avec la négation totale de l’identité culturelle occitane. Si on voulait mener les enfants sur le bon chemin, on proposerait deux voies possibles:
- La voie minimale de l’égalité parfaite entre l’occitan et le français avec la généralisation des écoles bilingues, c’est-à-dire la parité horaire dans tous les établissements scolaires d’Occitanie.
- La voie maximaliste de la reconquête linguistique avec la généralisation de l’enseignement en immersion.
La situation de l’occitan dans l’enseignement est si timide que même l’application de la voie minimale constituerait un immense bond en avant, car elle impliquerait la nécessité d’un recrutement massif de professeurs d’occitan.
La reconquête linguistique promue par la voie maximaliste ne doit pas s’arrêter à l’école. Elle doit se poursuivre et s’étendre dans toutes les activités de la société pour développer l’usage social et créer donc le besoin d’apprendre la langue.
Dans tous les cas, une forte volonté politique est nécessaire pour rendre possible la renaissance linguistique de l’occitan. Ainsi, la Catalogne a montré l’exemple et constitue un espoir fort. L’émancipation nationale de la Catalogne a commencé par la reconquête linguistique dans les années 70, et elle fera inévitablement tache d’huile sur l’Occitanie. Le Val d’Aran en profite déjà: grâce à son officialisation, l’occitan aranais a retrouvé son utilité et est enseigné en immersion dans toutes les écoles publiques de l’entité. Dans l’Occitanie Grande (sous administration française), si l’enseignement de l’occitan est bien plus fort en Languedoc et en Gascogne que dans les autres régions, c’est grâce à l’influence directe de la catalogne et du pays basque voisins.