16.04.2024

Démocratie catalane contre impérialisme espagnol

Depuis plus d’un mois, la Catalogne occupe la première page de l’actualité européenne. Pour rappel, on a assisté le 1er octobre dernier à un référendum d’autodétermination avec une victoire nette du “oui” à plus de 90%. Le taux de participation fut important (42%), malgré les mesures répressives et violentes lancées par Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, pour empêcher le référendum, moyennant la mobilisation des forces de l’ordre: intimidations contre les personnes chargées du vote, saisies préalables du matériel de vote, confiscation des urnes pleines de bulletins pendant le référendum, évacuations physiques des citoyens venus exercer pacifiquement leur droit de vote.

Les réactions internationales ont été honteuses: silence assourdissant de l’Union Européenne, incohérence du président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker qui déplore la violence policière espagnole tout en maintenant sa confiance à Mariano Rajoy qui en est responsable, soutien inconditionnel de l’État français au gouvernement espagnol…

Malgré l’opposition de Madrid, la session du Parlement catalan, très attendue par le peuple, s’est tenue le lundi 10 octobre, et il en a résulté les points suivants:

  • Le président Carles Puigdemont a assumé le mandat du référendum du 1er octobre en précisant que la Catalogne sera un État indépendant en forme de république.
  • Il a affirmé sa volonté de dialogue en mettant en suspens les effets de cette indépendance et en prenant en compte les appels internationaux au dialogue.
  • Les 72 députés de la majorité ont signé la Déclaration d’Indépendance de la République Catalane.

Le gouvernement Rajoy à l’origine de la crise

Il convient de se rappeler que Mariano Rajoy a toujours choisi de refuser d’aborder les problèmes des Catalans qui ont mené à la crise actuelle. Et pour cause: son parti est à l’origine de cette crise institutionnelle depuis les années 2000. Rajoy n’applique que les volontés jacobines, ultraconservatrices et ultranationalistes de son camp politique, le Parti Populaire, un parti de droite conservatrice fondé par un ancien ministre de la dictature franquiste, et souhaite effectuer les choses suivantes:

  • Castillaniser la Catalogne et Aran en s’inspirant du modèle d’assimilation violente française. Cela nécessite de saboter l’autonomie de la Généralité de Catalogne parce que les élus catalans, à l’inverse des élus occitans de l’État français, protègent leur culture et leur langue.
  • Assurer la domination économique de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie madrilènes en étouffant l’autre mégalopole de l’État espagnol qu’est Barcelone. Cette manoeuvre a commencé depuis des années avec diverses mesures destinées à déplacer les entreprises catalanes vers la région de Madrid. La crise en Catalogne a servi de prétexte pour accélérer le mouvement. Ainsi, de grandes entreprises catalanes ont changé leur adresse fiscale sous la pression de Madrid, qui se verrait bien comme un Paris ibérique soumettant ses provinces.
  • Renforcer l’État central et provincialiser les régions périphériques sur le modèle français, avec des régions administratives sans capacité financière et avec un mélange des pouvoirs qui permette à l’État de tout contrôler dans les moindres détails.
  • Rabaisser les Catalans, les Occitans d’Aran et les Basques pour permettre aux Castillans et aux espagnolistes de retrouver le sentiment de domination.
  • S’approprier les richesses du pays en toute tranquillité et entraver durement les oppositions démocratiques du peuple.

Dans cette logique, le Tribunal Constitutionnel espagnol (composé de membres du Parti Populaire, le parti au pouvoir à Madrid, et de membres du Partit Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE), au pouvoir par alternance) n’a jamais respecté l’autonomie de la Catalogne et est régulièrement intervenu dans ses affaires pour invalider les lois sociales que son Parlement avait adoptées: taxe sur les banques, loi de protection des citoyens abusés par des hypothèques frauduleuses, légifération pour garantir aux familles pauvres l’électricité, l’eau et le gaz, taxe pour chaque appartement vide, politique d’égalité entre les hommes et les femmes, interdiction de la corrida, taxe sur les centrales nucléaires, loi d’interdiction de la technique de fracturation hydraulique utilisée dans l’extraction des hydrocarbures, imposition aux fournisseurs d’accès Internet d’un tarif pour soutenir la culture.

Les médias français acquis au discours espagnoliste

Jusque là, la plupart des médias français ont pratiqué la désinformation concernant la situation en Catalogne, en présentant les indépendantistes catalans de la pire des manières qui soit, en reprenant à son compte tous les arguments des nationalistes espagnols et en laissant la parole, en général, aux politiciens espagnols, aux pseudo-experts établis à Paris ou uniquement aux Espagnols et Catalans opposés à l’indépendance de la Catalogne.

Ainsi, l’électorat et la coalition des indépendantistes catalans sont décrits comme “hétéroclites”, “radicalisés”, irresponsables, “sans projet de société” et systématiquement “en proie aux divisions”. Pire, ils sont même présentés comme une minorité menaçante, envahissante, fanatique, sectaire et liée à l’islamisme radical.

L’indépendantisme catalan est considéré comme une “pulsion” idéologique contagieuse source de guerre, une “fiction narcissique” et un “populisme nationaliste” comparable à “Trump et [au] Brexit”, et son importance dans l’opinion publique catalane est très minimisées. En face, celle des anti-indépendantistes est augmentée et même exagérée, comme on l’a vu pendant la manifestation unioniste qui a eu lieu à Barcelone le 8 octobre dernier et qui prétendait rassembler la “majorité silencieuse” catalane, alors qu’une grande partie des manifestants venaient de toute l’Espagne dans des bus gratuits commandés par le Parti Populaire espagnol. Et bien sûr, la Déclaration Unilatérale d’indépendance est considérée comme un coup d’État.

Cette vision partisane des médias français a atteint son paroxysme avec un article du journal Le Point daté du 1er novembre qui qualifie Mariano Rajoy d’homme incroyable dont les indépendantistes auraient sous-estimé le talent

On voit bien que cette manipulation de l’information a pour but de légitimer la politique répressive du gouvernement Rajoy aux yeux de l’opinion publique pour que celle-ci ne fasse pas pression sur les classes politiques et qu’elle n’exige pas une intervention de l’Union Européenne, qui continue de considérer la crise catalane comme une affaire interne de l’Espagne. Et cela malgré les violations commises par les forces de l’ordre espagnoles contre une population civile pacifique, dénoncées par Amnesty International et qui enfreignent la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE et la Convention Européenne des Droits Humains (CEDH).

Cela montre bien que la concentration à Paris de tous les médias dits “nationaux” français et leurs liens avec des conglomérats proches des cercles politiques parisiens constituent un danger pour notre démocratie. Entre les intérêts politiques de l’État français et les intérêts économiques d’entreprises dépendantes d’un marché étranger, il est clair que la diversité d’opinion n’est pas une priorité. Le gouvernement espagnol, avec sa dérive mafieuse, autoritaire et antidémocratique, est soutenu par les grands de ce monde. Nous sommes tous en danger de privation de nos libertés!

Vers une accentuation de la répression du pouvoir madrilène

Rajoy n’a pas réussi à provoquer une radicalisation violente des indépendantistes pour justifier la répression parce que les Catalans ont l’esprit civique. Pour autant, le lundi 16 octobre dernier, la répression anti-catalane est allée encore plus loin: la justice espagnole a ordonné l’arrestation préventive, sous prétexte de “sédition”, des leaders indépendantistes Jordi Cuixart (président d’Òmnium) et Jordi Sanchez (président de l’ANC), devenus de fait prisonniers politiques pour délit d’opinion. Enfin, le gouvernement espagnol a clairement affirmé son intention d’appliquer l’article 155 qui signifie la suspension de l’autonomie catalane. Carles Puigdemont a répondu qu’il arrêterait la suspension de la proclamation d’indépendance si Madrid appliquait cet article. 

C’est ce qui s’est produit le 27 octobre 2017, qui est devenu un jour historique pour la Catalogne: celui de la proclamation de l’indépendance par le Parlement catalan, à la suite de l’application dudit article 155. 

Alors la répression du gouvernement espagnol est allée crescendo: destitution des membres du Gouvernement et du Parlement catalans, convocation à de nouvelles élections dites “autonomiques” pour le 21 décembre, et entre temps, arrestation préventive et abusive de la moitié du Gouvernement catalan dont le chef du parti Esquèrra Republicana de Catalonha (ERC, Gauche Républicaine Catalane), ce qui porte à 10 le nombre de prisonniers politiques qui risquent trente ans d’emprisonnement.

Il y a peu d’espoir que les élections du 21 décembre soient démocratiques, étant donné que Xavier García Albiol, président du Parti Populaire en Catalogne, a annoncé que la répression continuerait si les indépendantistes gagnaient encore une fois. On parle même d’illégaliser les partis favorables à la République Catalane.

Il est honteux que le parti socialiste de l’opposition espagnole, l’Union Européenne et l’État français s’associent à un procédé d’inspiration franquiste qui dénie la démocratie et les droits humains. Le droit à l’autodétermination des peuples est au-dessus de toutes les lois et constitutions étatiques. 

Concernée par la situation en Catalogne en raison des liens fraternels et historiques qui existent entre Occitans et Catalans, l’ANOC soutient naturellement et par principe l’action et les décisions du Gouvernement et du Parlement catalans, et demeure convaincue que la majorité indépendantiste parviendra à mener la Catalogne et Aran vers l’indépendance, même si la lutte sera longue et féroce.

L’actualité catalane évolue chaque jour. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la situation peut changer rapidement et de nouveaux faits peuvent intervenir entre temps.